Ramen

François Simon, célèbre critique gastronomique, justifie l’engouement pour le ramen et partage ses adresses


Midi sonne dans le quartier Sainte-Anne, entre Louvre et Bourse, à Paris. Alors que bistrots et restaurants s’ébrouent lentement pour le déjeuner traditionnel, dans Little Tokyo, c’est déjà l’agitation. Devant ses multiples restaurants japonais de ramen (prononcez lamen), les files d’attente s’étirent. Il est temps de rejoindre les serpentins avant le déluge d’aficionados de cette vogue, devenue en réalité une vague profonde. Chose remarquable, là où souvent, en France, les files d’attente se mettent en place par grappes informes, ici on est dans le respect originel de ce rituel nippon. La file d’attente est une sorte d’enclave totalement intégrée au marketing. Elle surligne l’importance du lieu, amplifie le désir, renforce en même temps l’adhésion sociale, le vivre-ensemble en harmonie, où personne ne songerait à gratter sournoisement une place. Il existe d’ailleurs des sites Internet consacrés à ce thème, à explorer en tapant dans Google « kaiten mae kara narabu hito » (les gens qui attendent avant l’ouverture).

Pourquoi donc cet engouement ? La réponse est aussi simple que ces nouilles de blé d’origine chinoise, importées au Japon au début du XXe siècle. Au creux d’un bol évasé, elles se lovent dans un bouillon magique, acceptent d’être couronnées d’un œuf (mollet mariné par exemple) et d’un « topping » (garniture) allant de la viande de porc braisée aux pousses de bambou marinées, avec sauce épicée maison… C’est économique (autour de 10 euros), tonique et revigorant. Lorsqu’on en ressort, on pourrait faire badaboum sur sa poitrine tant le combo confère de la vitalité. Le long de la devanture, il y a déjà la ferveur de l’anticipation. Chacun sait exactement ce qu’il va prendre, le degré de piquant dans le bouillon, son accompagnement. Se dessine presque la première cuillerée de liquide, la cuisson des nouilles… C’est le nouvel hymne des quartiers boboïsés, sans doute car on trouve le prolongement de l’univers des mangas, un condensé de Japon et ses promesses d’exotisme dans la modestie de ce plat du quotidien.

Un imaginaire se déclenche

Lorsqu’on laisse son visage s’embuer au-dessus du bol de ramen, un imaginaire se déclenche. Pour un peu, Naruto Uzumaki, personnage principal du manga Naruto (il ne mangeait que ça), vous adresserait un clin d’œil complice. « Les ramen sont entrés dans ma vie parce que ça faisait partie de ma génération : le skate, la vague japonaise, explique Charles, créateur de Charles et ses ramens (@ charlesmamarot). C’était pas cher, c’était bon, réconfortant, exotique. On rêve du Japon en mangeant. C’est alors que j’ai gagné un concours de films réalisés avec un portable. Le premier prix, c’était un séjour là-bas. Vous avez deviné quel a été mon premier repas ! En plus, c’est la meilleure façon de manger correctement à petit prix. Ç’a été le déclic. »

Lire aussi – Rare, régional ou poétique, voici les cinq livres de cuisine préférés du chef Jean-François Piège

À son retour en France, Charles se prend au jeu, cuisine pour ses amis. Il se souvient de ses bouillons trop fades, de pâtes disloquées et de viandes trop cuites. Puis, lentement, il a commencé à entrer dans l’hypnose des ramen. Savoir séquencer le bouillon, le taré (l’assaisonnement au fond du bol), les nouilles et enfin les toppings habituels : rôti de porc, œuf, pousses de bambou ou encore épinards sésame, comme l’affectionne Charles. Cela fait maintenant quatre ans que le photographe pratique et trouve enfin son plaisir, sa sérénité. Il a rejoint les sphères de l’umami, cet étrange continent « où se croisent le savoureux et l’astringent » : « On peut les trouver dans du poisson séché, pour rehausser le bouillon. » Au restaurant, il a aussi ses repères : « J’ai changé ma technique. Avant, je goûtais le topping en premier, puis les pâtes et enfin le bouillon ; maintenant, j’ai inversé le tir. Je savoure le bouillon, sa profondeur, puis je passe au topping, je secoue la viande pour voir si elle bouge sur elle-même, et enfin les pâtes, dont la texture est primordiale. » Encouragé par ses amis, Charles s’est lancé ici et là dans des cuisines pop-up, et parle même d’ouvrir un jour un vrai lieu à lui : « Je me suis aperçu que je ne cherchais pas l’excellence gastronomique, mes ramen répondent plus à une dimension amicale, familiale. C’est le plaisir de la maison et des convives avant tout. »

Lire aussi – Madeleines, Petit Beurre… quand les biscuits sont revisités par les grands chefs

 

Éditrice de musique (Clara Ysé) et attachée de presse (Clara ­Luciani, Juliette Armanet, Eddy de ­Pretto, Fishbach, Feu ! Chatterton, Tim Dup…), Melissa Phulpin a presque la voix qui se fendille lorsqu’on prononce le mot « ramen ». Tout de suite, elle fonce dans une passion. Celle qui lui a sauté à la gorge lors d’un voyage au Japon. C’était en 2007. Depuis lors, c’est une telle obsession qu’il lui arrive, depuis Biarritz, où elle réside en partie, d’en commander par Chronofresh ! « Pour moi, c’est tout un rituel que je pratique bien souvent en solo, car il m’est difficile de tenir une conversation tout en me consacrant à mes ramen. J’attaque toujours à la large cuillère, histoire de bien savourer le bouillon. C’est souvent là qu’on peut estimer la qualité d’un ramen, tout de suite vous voyez s’il est dans le ton, s’il a du tempérament. Et ensuite j’attaque frontalement. J’y plonge comme une désespérée, comme si j’avais peur de manquer. C’est l’une des seules nourritures qui me mettent dans ce genre d’état mental ! » Ses adresses préférées tombent comme une lame de métal : Higuma, Sanjo, Kodawari, Naritake… Il y a alors dans sa voix un timbre au-delà de la certitude, mais comme une possession. Impressionnante.

Droit au bol De haut en bas et de gauche à droite : dégustation chez Hakata Choten Opéra. Mélissa Phulpin, fan de cuisine japonaise, fait ses courses dans l’épicerie Kioko, rue des Petits-Champs (Paris 2e). Chez Sanjo, le spécialiste des ramen, Ryoun Komatsu, prépare un bouillon. Œufs mollets et autres toppings chez Hakata Choten Opéra.

 

Higuma

Adresse réputée avec une dizaine de ramen. 32 bis, rue Sainte-Anne, Paris 1er. 27, boulevard des Italiens, Paris 2e.

Naritake Ramen

Pour les dingos du genre avecdeux propositions : shoyu ramen et miso ramen ; gyozas également. 31, rue des Petits-Champs, Paris 1er.

Kodawari

L’un viande, l’autre poisson. Kodawari Yokocho : 29, rue Mazarine, Paris 6e. Kodawari Tsukiji : 12, ruede Richelieu, Paris 11e.

Sanjo

Des ramen sobres, élégants,qui vont droit au bol.C’est beau et c’est bon.29, rue d’Argenteuil, Paris 1er.



Source link

LEAVE A RESPONSE

Your email address will not be published.